Monk Montgomery, pionnier du groove électrique
Voilà un Montgomery qui n’a pas eu la reconnaissance de son propre frère, l’illustre guitariste de jazz Wes Montgomery. Le troisième frère, le benjamin, Buddy Montgomery, vibraphoniste (à noter qu’on le trouve au piano sur des sessions tardives des années 1990, alors que Roy Ayers tient les mailloches !), a probablement subi le même sort, se retirant quasiment de la scène pour vivre de l’enseignement de la musique et de sessions en studio.
C’est par une interview de Carol Kaye au site BassPlayer.tv que j’ai pu découvrir William Howard “Monk” Montgomery (1921 – 1982), qu’elle qualifie de pionnier de la basse électrique au sein des formations Big Band Jazz, eu égard au fait que Jaco Pastorius récolte tous les honneurs en tant que bassiste électrique virtuose de la sphère jazz-fusion :
“People don’t know but one of the first players of the electric bass was Monk Montgomery. He went on the road with Lionel Hampton’s band, playing the electric bass, back in the fifties. He’s the first one that used electric bass, I think, in the Big Band. It sounded good, too!”
(“Les gens l’ignorent mais l’un des premiers joueur de basse électrique était Monk Montgomery. Il a accompagné l’orchestre de Lionel Hampton, en jouant de la basse électrique, c’était dans les années 1950. Il est le tout premier à avoir utilisé la basse électrique dans un contexte de Big Band. Et ça sonnait!”).
La légende qui fait de Bill Black, contrebassiste d’Elvis Presley, le premier bassiste électrique prend du plomb dans l’aile. Un des premiers du rock, sans doute, pas de la musique. À l’instar de la plupart des pionniers de la basse, Monk Montgomery était un transfuge de la contrebasse (tandis que Carol Kaye vient de la guitare).
Cependant, à l’inverse de James Jamerson, qui avait abordé l’instrument en décalquant totalement la technique de la contrebasse (tension énorme des cordes, jeu au doigt en crochet), Monk Montgomery tente de l’aborder comme un instrument entièrement neuf. Il n’est pas rare, d’après les photos, de le voir jouer d’une façon hétérodoxe (le point de repère étant la manière de jouer commune d’aujourd’hui), en utilisant son pouce. Là encore, la magie opère sans artifices. Point de prouesses techniques (pas de slap et d’avalanches de notes, encore moins de tapping à trois mains), peu de notes et bien posées, avec du silence et de la syncope, en veux-tu en voilà ! Il en est de Montgomery comme de Jamerson : il y a peu de notes, mais si parfaitement placées qu’elles sont rythmiquement difficile à exécuter (les lecteurs, dans une moindre proportion les déchiffreurs de solfège tireront alors grand bénéfice des indications de rythme et de mesures).
Car, on aurait tendance à l’oublier, faute de perspective historique suffisante, tant nous sommes familiers de ces instruments à la fois modernes et si récents, même dans les années 1960, la basse électrique – entrée alors dans la langue populaire musicale comme la “Fender Bass” – est quelque chose d’étrange, fascinant : on peine presque à croire que cette planche à quatre corde va remplacer la contrebasse dans les orchestres modernes. Les propos de Chuck Rainey sur sa première basse permettent de prendre la mesure du caractère exceptionnel de l’instrument en ce temps (ce devait être comme posséder un séquenceur tactile de nos jour, l’objet franchement extra-terrestre) :
“Since I was playing single notes, someone suggested that I get a bass. And I did that ; my parents got it for me. I got a Fender bass, and I was the only person in Youngstown, Ohio at that time that had a Fender bass. [Laughs]. And, of course, the band I was in got a lot of attention because of the instrument. You know the Fender bass was a relatively new instrument.”
(“Comme je jouais note-à-note, quelqu’un me suggéra de trouver une basse. Et je l’ai fait ; mes parents m’en ont payé une. J’ai eu une basse Fender, et j’étais la seule personne de Youngstown, Ohio, à l’époque, à posséder une basse Fender. [rires]. Et bien entendu, le groupe et moi-même gagnions beaucoup d’attention du fait de cet instrument. Vous savez, la basse Fender était un instrument relativement nouveau.”) (ndr : on situe son début à la basse vers 1958)
Revenons à Monk Montgomery, qui, outre ses fonctions d’accompagnateur, a produit quelques opus où la basse emmène les thèmes. Signalons, en 1957, avec les Mastersounds, Water’s Edge, qui comptait à sa formation Buddy Montgomery (vibraphone), Richie Crabtree (piano), Monk Montgomery (basse électrique Fender), Benny Barth (batterie). Sur la pochette, Monk Montgomery tient une basse Fender typique de la période 1951 – 1954 : forme issue de la guitare Telecaster, tête coupée quasi droite, capots chromés sur le micro et le chevalet, tampon-étouffoir en mousse sous les cordes). On notera d’ailleurs la quasi publicité pour l’instrument (lieu commun de l’époque), puisqu’il est le seul à faire apparaître le sien et à le nommer par la marque dans les crédits du disque (cf supra).
En 1969, c’est la parution de It’s never too late, chez Motown Records (tiens en parlant de Jamerson !). L’album est essentiellement constitué de titres et standards jazz (dans le style Broadway, Nancy Hamilton et Morgan Lewis) et soul, issus du catalogue Motown (Stevie Wonder). On retiendra la participation du saxophoniste/bassiste Wilton Felder (Motown West Coast, section dite “Mo-West”) aux arrangements de Can we talk to you ?
En 1971 paraît son deuxième opus solo, cette fois sous le label Chisa, mais toujours au sein de Motown Records : A Bass Odyssey. Il pose fièrement avec une Fender Jazz Bass et l’ampli seyant. C’est à presque cinquante années qu’il explore toujours plus loin les possibilités de la basse électrique dans un contexte jazz, à partir de ses propres compositions jazz (une seule est signée de son frère Buddy). Comme je ne peux vous indiquer de liens d’écoute vers Spotify, je vous invite à écouter Journey to the Bottom sur YouTube.
httpv://www.youtube.com/watch?v=ZI3lhVYQGXk
À écouter aussi, son dernier opus, Reality (1974), paru chez Philadelphia International Records, qui tend résolument vers le funk old school comme on l’aime (de la wah-wah, du clavinet, des cuivres qui suintent : on n’est pas loin des HeadHunters (avec Herbie Hancock et sans) et des Bar-Kays période Gotta Groove (1969).
Sur ce, comme je découvre moi aussi, humble mélomane mais non moins monomaniaque, je vais musarder sur la toile en quête de matériau…
Bonne écoute !
Sources consultées :
http://www.bassguitar.com/william-howard-montgomery.html
http://www.bassplayer.com/article/will-lee-interviews/feb-97/6962
http://bassplaying.com/?q=node/210
http://www.freshsoundrecords.com/record.php?record_id=4954
http://en.wikipedia.org/wiki/Monk_Montgomery
http://myjazzworld.blogspot.com/2008/10/monk-montgomery-reality.html ( note : consulté le 12 janvier 2010, blog inactif au 24 février 2010)