Saul Williams et Gil Scott-Heron @ Paris
L’édition Jazz à la Villette 2010 accueillait, parmi une myriade de musiciens savoureux, le légendaire Gil Scott-Heron.
C’est à Saul Williams que revenait la tâche – périlleuse – d’ouvrir pour cet homme de paroles qui se veut “nouveau ici”, Gil Scott-Heron. L’artiste, dans une polyphonie slammée/déclamée/haranguée/chantée, s’inscrit clairement dans la lignée de l’aîné qu’il introduit ce soir, tout comme des Last Poets : le mode talkover domine sur un fond principalement percussif, sans oublier la présence du tromboniste et multi-instrumentiste Julien Chirol. Le Black Stacey, comme il se définit dans l’une de ses propres compositions, lance une ouverture fracassante, un poème bombe intitulé (Coded Language, que je pensais s’appeler Whereas), qu’il lit sur une sorte de parchemin. Saul Williams ne met guère longtemps à se mettre l’auditorium dans la poche. L’américain s’exprime d’ailleurs volontiers en français, avec un humour et une affabilité – entrecoupés de fous rires – tout naturels. Critiquant la politique états-unienne en matière de guerre (quoiqu’euphémisée et polie depuis l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche), Saul Williams se fend même d’une petite pique désapprobatrice “Nous, les USA, la guerre pas bon. Mais en France aussi Sarkozy, non c’est pas bon”.
Après une bonne heure de show, une très rapide balance (doit-on lui attribuer un rôle dans ce qui vient plus bas), Gil Scott-Heron prend possession de la scène, costume gris et casquette de baseball, visage buriné mangé par une barbe poivre et sel, témoignant l’usure du bonhomme. Gil Scott-Heron est heureux d’être à Paris, il n’y a aucune feinte dans son attitude. Il serait même l’anti-rap à lui-même (dixit Scott-Heron lui-même).
Gil Scott-Heron prend la parole, pas pressé d’envoyer un répertoire prestigieux que d’aucuns pourraient s’attendre à le voir s’enchaîner à la vas-y-que-je-te-pousse. Il se pose. Marche quelques allers-retours en prenant le temps de cueillir chaque regard, palpant l’atmosphère et ouvrant, riant, sur l’incise que porte son dernier opus : I’m New Here. Gil, avec une modestie tendre, nous annonce, que le plus important n’est pas d’apprécier la musique mais de s’amuser soi ! (“You’re not supposed to enjoy the music, If you don’t – I don’t mind, but just enjoy yourselves !”). Sur ce, l’artiste s’installe confortablement derrière un piano de type Fender Rhodes qui accompagne à merveille sa voix passée de ténor au quasi baryton, tannée par les années et teintée par des excès. Loin de l’orchestration soul-jazz de Pieces of a man (1970), dominée par la rythmique légendaire de Bernard Purdie et Ron Carter, la formation, sommaire et semi-acoustique, “The Midnight Band”, se résume à un pianiste/harmoniciste (dont les chorus m’ont beaucoup rappelé ceux de Stevie Wonder), un saxophoniste/flûtiste, un percussionniste jouant principalement des congas. Gil Scott-Heron semble se laisser aller au gré d’un petit picorage dans 40 années de musique, appuyant sa musique d’une sincérité jamais feinte. L’homme, nerveux et toujours enthousiaste, s’emballe parfois un peu (Home is were the hatred is, que je compte parmi mes titres préférés, a été exécuté si vite que ça a pas mal confiné au brouhaha – je n’arrivais même plus à suivre les paroles), mais se fait à d’autres et nombreuses occasions brillant et rassurant (We almost lost Detroit seul au Rhodes, impeccable ou le poignant I’ll take care of you). Sans oublier qu’il se lève souvent pour communiquer avec l’auditoire, logé dans une salle qui n’a pourtant que peu à voir avec l’ambiance intime des clubs qui ont vu naître Small Talk At 125th And Lenox. Si la mise en place musicale n’était pas parfaite, Gil Scott-Heron prouve néanmoins sa grande honnêteté musicale – où la poésie dégagée tient autant à la qualité intrinsèque de ses compositions qu’à l’événement qui consacre sa manière de relation au public –un sens de l’humour et de l’autodérision (“You know, I’ve been sampled by many people!”) et une maestria hors du commun. Un seul rappel sera offert par l’artiste, Better Days Ahead.
Le seul cliché de la soirée ? Des “yeahhhh” , “right man” hurlés dans le public comme s’il ont était dans la 52e rue de New York, qui, dans le contexte, semblaient franchement décalés.
Et l’on sentait que le grand Gil voulait son concert parisien.
Qu’il revienne nous en-chanter, nous l’attendons.