14 Ulica Próżna
Pour Monika Próchniewicz.
Ce qui va suivre est un témoignage du “Camarade” Bernard Goldstein (1889 – 1959). Le Camarade Bernard prit part à l’insurrection du Ghetto de Varsovie, en tant que figure éminente du Bund (Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie). Le Bund était une organisation sociale-démocrate, juive antisioniste, opposée au bolchévisme. Elle prônait une culture juive diasporique, avec pour langue le yiddish (yiddish daytsh, forme de Hochdeutsch enrichi d’apports hébreux et slaves). Comme son frère d’armes et ami Marek Edelman (1919 – 2009), autre figure majeure de l’insurrection du Ghetto de Varsovie et de la résistance à la barbarie nazie, de cachette en cachette, de cave en grenier, Bernard Goldstein parvint à s’échapper de l’extermination du Ghetto en 1943 pour survivre en zone aryenne. Il put par la suite prendre part à l’insurrection de Varsovie, en 1944.
J’ai choisi de citer une extrait de cette lecture, comme faisant écho direct à la photographie de l’entrée du bâtiment du numéro 14 Ulica Próżna, au centre de Varsovie que j’ai réalisée le 16 août 2011.
Le texte a fait l’objet d’une première traduction par E. Dal, jugée trop littérale ; elle fut remaniée par Viviane Clerck Ayguesparse. Le titre original en yiddish est Finf yor in Varshever Geto, paru en 1947 à New York.
Vous pouvez consulter le texte librement sur le site internet des éditions Zones.
Zygmunt Igla était un jeune bundiste membre du syndicat des employés de commerce de Varsovie. Pendant toute l’occupation il avait milité dans notre organisation de résistance. C’était un garçon de haute taille, large d’épaules, présentant l’aspect d’un pur Polonais. Il était d’un courage étonnant. La nuit comme le jour, il ne se séparait jamais de son revolver chargé.
« Ils ne me prendront pas vivant », avait-il coutume d’affirmer.
Pendant le soulèvement du ghetto, Igla se battit vaillamment. Il réussit à s’évader et à gagner la forêt de Wyszkow. Il vint à Varsovie à plusieurs reprises pour chercher de l’argent et des instructions. Puis il s’installa rue Sliska. Au bout de peu de temps, il dut changer de résidence car des dénonciateurs l’avaient découvert. Il se rendit chez Jablonski, gardien de l’immeuble du n° 14 de la rue Prozna, un de nos hommes de confiance. Il nous avait procuré des logements et, en cas d’urgence, il cachait des amis chez lui pour la durée d’une nuit. Son domicile était l’un des points de rencontre de notre organisation de résistance. Il nous avait aussi beaucoup aidés à trouver des armes pour le soulèvement. Marysia Feinmesser assurait la liaison entre lui et nous.
Deux jours après qu’Igla se fut réfugié chez Jablonski, des gendarmes assiégèrent l’immeuble. Outre Igla, un camarade et une camarade de l’association Hashomer s’y terraient. Tous trois se barricadèrent et ouvrirent le feu sur les assaillants. La bataille dura plusieurs heures. Les gendarmes durent demander des renforts qui arrivèrent en auto blindée. Les soldats, appuyés par des mitrailleuses attaquèrent à coups de grenades. Nos trois héros résistèrent aussi longtemps qu’ils le purent. Ils périrent courageusement faute de munitions, non sans avoir blessé de nombreux Allemands.
Au moment du combat, Jablonski ne se trouvait pas chez lui ; mais il fut arrêté un peu plus tard. On le tortura, il ne parla pas. Il connaissait pourtant de nombreuses adresses de Juifs fugitifs.
GOLDSTEIN, Bernard, L’Ultime Combat : nos années au ghetto de Varsovie, Zones. Paris, 2008, p.204 – 05.
© Pour la traduction : Éditions La Découverte, 2007. Zones est un label des Éditions La Découverte.