Je l’appelais Morgan
Tel est le titre du film documentaire de Kasper Collin consacré à l’incroyable musicien qu’était Lee Morgan : I Called Him Morgan. Morgan, génie des pistons, alchimiste du hard bop jusqu’en 1972, où il trouve la mort sous les balles de son épouse Helen, folle de jalousie. Lee Morgan avait alors l’âge christique : 33 ans.
La trame narrative de ce film documentaire est guidée par les entrevues enregistrées par Larry Reni Thomas, enregistrées en 1995 et 1996. Thomas, alors enseignant en arts, s’est trouvé ébahi d’avoir parmi ses élèves une femme âgée du nom de Morgan et de découvrir qu’elle était la femme du musicien. Veuve et assassin à la fois, puisqu’elle l’acheva de deux balles de révolver au club de jazz Slugs’ Saloon le 19 février 1972. De ces entretiens paraîtra en outre un livre, The Lady Who Shot Lee Morgan (UBUS, 2014).
Ce film est par ailleurs une prouesse archivistique. En effet, il s’appuie sur les archives photographiques du label Blue Note, mais aussi une série d’entretiens réalisés sur magnétophone, avec Lee Morgan, Helen Morgan, Art Blakey, ainsi que des extraits originaux de concerts filmés.
On découvre par ce film une face sombre de Lee Morgan : au trompettiste impeccable et flamboyant on oppose un jeune homme tourmenté par les drogues et l’alcool. Mais on y dévoile également un homme habité par la classe, méticuleux dans ses choix vestimentaires (il allait jusqu’à porter de splendides fourrures), toujours impeccablement coiffé et chaussé comme un duc. Ce sont d’ailleurs de magnifiques chaussures qu’il vendra un jour pour acheter la dose d’héroïne. Tragique va-nus-pieds.
Le film a également le mérite, au travers de témoignages oraux et de photos, de souligner la force du mentorat exercé par Dizzy Gillespie, avec qui Lee Morgan se mit à rivaliser au sein de son propre orchestre. Les deux trompettes au pavillon incliné vers le haut entretenaient une relation fraternelle et amicalement frondeuse.
Mais ce qui ressort de ce film superbement réalisé, c’est le troublant pardon qui émane des témoignages poignants de ses anciens musiciens : Jymie Merritt, Wayne Shorter et Bennie Maupin, notamment. Gagnés par la colère et la rage, les musiciens pardonneront finalement à Helen Morgan, lui permettant une inattendue rédemption. Car ils lui devaient d’avoir remis le trompettiste junkie sur pied, après une traversée chaotique de la décennie 1960.
Avis aux amateurs, le film est disponible sur NetFlix depuis le 24 juillet 2017.