Aaron Dodd (1948 – 2010)
L’industrie de la musique est sans pitié. Même pour ce vétéran du tuba décédé maintenant il y a presque dix années. Aaron Dodd (1948 – 2010) a gravé sur l’acétate de vinyle, entre autres prouesses mémorables, la célèbre ligne de tuba qui ornemente la reprise du I Believe to My Soul de Ray Charles par Donny Hathaway. Sur ce classique de rhythm & blues, Donny Hathaway transforme le thème du mode mineur en majeur, transfigurant la balade triste en une plaidoirie fanfaronnante. Sur le pont, Aaron Dodd double au tuba la ligne de basse Fender du non moins légendaire Louis Satterfield.
Et pourtant. L’instrument est ingrat et peu mis en valeur en dehors des orchestres symphoniques et des fanfares.
Aaron Dodd mourra malade, pauvre. Pourtant, même souffrant, il ne rechignait pas à jouer dans le froid ou sous la pluie.
Retraçons de manière brève son histoire.
Alors que sa soeur Linda essaya brièvement le cornet au lycée, l’instrument fut vite délaissé et prit la poussière. Aaron d’en saisit avec un succès quasi immédiat. Dans l’orchestre de son lycée, Aaron Dodd s’accapare différents instruments à vent, si bien que, selon les propos de sa soeur Linda, “il était capable de jouer de n’importe quoi”. Mais c’est finalement le tuba qui obtient ses faveurs. La chance fait qu’il rencontre le tubiste Arnold Jacobs de la Chicago Symphony, lequel lui donne des cours gratuitement.
Mais plus encore, Jacobs lui obtient une bourse d’étude pour la Roosevelt University de Chicago.
Son style de prédilection est le jazz. En 1968, il se joint au Philip Cohran & the Artistic Heritage Ensemble. Il enregistrent Malcolm X Memorial (A Tribute In Music).
En 1970, alors qu’il sort des sessions pour l’album Everything is Everything avec Donny Hathaway, Richard Armandi, un fameux tubiste de Chicago, témoigne de sa manière de donner un rôle neuf à l’instrument dans un genre musical inhabituel pour le tuba, en rendant sa singularité indispensable dans la couleur d’un ensemble.
Il rejoint alors The Pharaohs, un groupe de R&B. Ils ont enregistré deux albums, The Awakening en 1971 et en 1972 In the Basement. Le groupe comprenait Charles Handy (trompette), le même Louis Satterfield (trombone), Don Myrick (saxophone alto), Big Willie Woods (trombone), Oye Bisi et Shango Njoko Adefumi (batterie africaine), Yehudah Ben Israel (guitare et chant), Maurice White (batterie), Alious Watkins (batterie), Derf Reklaw-Raheem (percussion et flûte), avec Aaron Dodd au tuba. Le groupe s’est dissous en 1973.
En 1975, Aaron Dodd enregistre avec le chanteur de R&B Leroy Hutson. C’était un musicien de jazz respecté à Chicago, qui avait voyagé dans le monde entier. Mwata Bowden, saxophoniste et chef d’orchestre de Chicago, se souvient de lui en ces termes : “C’était un musicien respecté. Aaron écrivait une page nouvelle sur la capacité du tuba.”
Puis des problèmes personnels survinrent et le décidèrent à devenir musicien de rue. Après cette période de tumulte, il continua de jouer dans la rue. En 1985, il rejoint 8 Bold Souls, sous la houlette d’Edward Wilkerson, qui sera sa dernière participation à des enregistrements commerciaux : ensemble, de 1985 à 1999, ils gravèrent 4 albums.
En 1998, Dodd est dévasté par le décès de son mentor Arnold Jacobs. Il erre, jouant à qui veut l’entendre l’ouverture du Meistersinger de Wagner devant le Chicago Symphony Center.
En 1999, le Chicago Tribune relate que la section de tubas de la Chicago Symphony, voyant le tuba de Dodd endommagé, décide d’une action collective pour lui offrir un instrument neuf, avec l’aide du facteur de cuivres Wayne Tanabe.
A cette époque, c’est désormais en fauteuil roulant qu’il diffuse sa musique dans les rues de Chicago. Tous ceux qui l’ont connu attestent qu’il respirait la musique et qu’il n’abandonna jamais face à l’adversité, qu’il s’agisse de sa santé ou de survivre.
Quand son décès survint, le 17 juin 2010, sa famille fut criblée de dettes liées aux dépenses médicales que sa maladie avait exigées, mais aussi à ses frais d’inhumation. Le Chicago Symphonic Orchestra fit alors une série de concerts pour aider la famille Dodd dans ces temps difficiles.
Hommage au plus grand tubiste de soul music.