O. V. Wright : l’oublié de Memphis
Overton Vertis Wright, connu par ses initiales “OV” Wright, est un des damnés de la soul du Sud des États-Unis. Sa carrière est sera aussi courte que mouvementée, mais il fixera sur l’acétate de vinyle à jamais sa voix dont l’expressivité brute n’a d’égal que la douleur qu’elle évoque. Élevé par sa mère dans les environs de Memphis, il reçoit une éducation religieuse et dès l’âge de 6 ans il fait partie de la chorale gospel de sa paroisse. L’enfant prodige vole la vedette au prêtre : les fidèles se mettent davantage sur leur trente et un par hommage au fils prodigue.
Des immondices à la grace
A 17 ans, il survit dans la banlieue de Memphis, dans son Tennessee natal, à Germantown précisément, en vidant les déchets puants dans un camion-benne tout aussi répugnant. De cette merde, de ce terreau d’immondices naît et croit son aspiration spirituelle, son désir de chanter autant la ferveur que le déchirement. La Soul music ? Il dira, goguenard, à la fin de sa vie : “Ça reste du gospel cette soul music. Dieu a été remplacé par Baby”.
Un groupe vocal local de gospel, dont le chanteur répugne à partir sur la route pour des tournées, l’approche, The Sunset Travelers. The Sunset Travelers est né dans les rues de Memphis. Grover Blake, bariton du groupe, témoignage de la fascination de Wright pour Sam Cooke et l’encouragea plutôt à suivre la voie de l’exubérance du Révérend Morgan Babb, afin de ne pas rester émule du divin Cooke.
Roosevelt Jamison, compositeur local, approche Goldwax (des voisins connus, notamment via Richard Sanders, partenaire de l’affaire) et Stax. Il parvient à faire enregistrer à O. V. une démo sous forme de 45 tours : That’s How Strong my Love is.
Un titre proposé également à Steve Cropper, le légendaire guitariste et producteur de Stax, partenaire d’écriture d’Otis Redding. Il n’est pas surprenant que Stax publie une reprise longue par Otis dès l’année suivante. C’est dire si O. V. n’est pas déjà dans l’ombre des plus ambitieux…
Goldwax subit alors les déboire de Vee-Jay, qui le distribue. Un changement de label s’impose alors.
Dès 1965, Willie Mitchell le produit pour le label Back Beat : cette aventure se conclut par le goûteux Eight Men and Four Women, album paru en 1967. O. V. Wright soutenait que Willie Mitchell prenait soin de lui parce qu’il le connaissait depuis son enfance.
Malheureusement, la direction artistique subira les conséquences d’un rachat de BackBeat par le conglomérat angeleno ABC/Dunhill au début des années 1970, qui après scission devient ABC.
Les années Hi
Willie Mitchell, le talentueux producteur à qui l’on doit les opus légendaires des deux fleurons de Hi, à savoir Al Green et Ann Peebles, prend O. V. sous son aile de producteur et le signe sous Hi Records en 1976. Mais l’ère est aux succès disco, et les productions de Mitchell s’en accomodent. Ce ne sont pas ces rythmes trop excités qui sont les plus seyants à la voix gospel d’O. V., habituée aux tempos lents ou moyens.
Dans l’année qui suit, O.V. s’enfonce un peu plus dans l’héroïne et l’alcool. Vers 1978, il écope d’une peine de prison pour détention de stupéfiants.
Cela ne l’empêche pas de s’aventurer pour une ultime tournée au Japon en 1979, dont témoignent de rares images vidéo (actuellement visibles sur YouTube).
Spectacle captivant et désolant à la fois. Captivant et fascinant par la magie vocale d’Overton Vertis, qui malgré des faiblesses remarquables conserve son style et son énergie vocale. Désolant, comme pour tout artiste légendaire que l’on découvre brutalement en mauvaise posture : corps rachitique, silhouette spectrale, chant par trop chuinté par une bouche dont on devine que les dents viennent à manquer. O. V. égrène ses succès, mais il passe aussi par une reprise de When a Man Loves a Woman, que sa voix peine à mettre en surbrillance. Le pantelant Into Something (Can’t Shake Loose) révèle que son rythme vocal n’est fait ni pour le chaloupé, ni pour les galops disco, même si l’affaire tient debout.
A l’issue d’une énième tournée éreintante, O. V. s’effondre, malade, le 16 novembre 1980, à Mobile (Alabama).
Une reconnaissance posthume
Un CD de compilation paraît che MCA en 1992, The Soul of O. V. Wright, mais son succès reste timide. Passablement négligé, oublié, ce sont les samples des lascars du Wu-Tang Clan qui dépoussièrent franchement ses classiques (RZA, Raekwon, Ghostface Killah) et redonnent à O. V. Wright une actualité nouvelle. Au début des années 2000, un retraité passionné de soul music, Red Kelly, découvre avec stupeur dans les allées du cimetière de Germantown une tombe résumée à un monticule de terre. Aucune pierre commémorative. Avec l’aide de Preston Lauterbach, il met sur pied le O. V. Wright Memorial Fund : en 2008 une levée de fonds via son blog permet de lever $1763.02. Une pierre tombale est gravée et érigée : l’honneur est enfin rendu. Mais ce n’est pas tout : s’ensuit un concert hommage, avec la participation d’artistes de Hi Records et de Willie Mitchell en personne.
(Remerciements à Anne-Marie Esteves)
Discographie :
- 1965 : (If It Is) Only For Tonight (Back Beat Records)
- 1967 : 8 Men And 4 Women (Back Beat Records)
- 1968 : Nucleus of Soul (Back Beat Records)
- 1971 : A Nickel and a Nail And Ace of Spades (Back Beat Records)
- 1973 : Memphis Unlimited (Back Beat Records)
- 1977 : Into Something I Can’t Shake Loose (Hi Records)
- 1977 : The Wright Stuff (Hi Records)
- 1978 : The Bottom Line (Hi Records)
- 1979 : O.V. Wright Live (Hi Records)
- 1979 : We’re Still Together (Hi Records)